Entre réalité et artifice, vivre dans les espaces de jardins à l'époque romaine
Isabelle Vinal  1, 2@  
1 : Isabel Vinal Tenza
2 : Universidad de Murcia

L'étude et l'archéologie des jardins est un domaine assez récent car, si l'intérêt pour ces espaces est ancien, il n'est vu comme un objet d'étude qu'à partir de la deuxième moitié du XXème s. Des auteurs comme M. Foucault, P. Grimal ou, récemment, I. Hilbold ont montré la complexité que représente l'analyse de ce lieu, à la fois espace physique mais aussi reflet de la relation d'une société avec la Nature. La pluralité des regards portés sur le jardin d'agrément romain se construit grâce à l'imaginaire naturaliste, dont nous avons les images dans la littérature et sur la peinture antique mais aussi dans la matérialité de ses espaces où réalité et artifice se font écho. D'ailleurs, il est révélateur de souligner que viridarium, désigne un jardin construit, artificiel et intellectuel dans lequel se projette une certaine idée de la nature. Par ailleurs, comme le souligne G. Caneva, la peinture de jardin n'est pas seulement une imitation de la beauté de la nature mais aussi une expression de l'ordre du cosmos par opposition au vide du chaos. Il s'agit donc d'un espace vécu et conçu pour refléter une conception du monde ou divin et humain se côtoient. En effet, Sénèque et Pline l'Ancien soulignent le caractère divin de la nature elle-même, y compris l'eau et les arbres. Cette construction mentale d'un espace de nature, par essence divine, se reflète dans la matérialité des jardins domestiques. Sur la base de ces observations, nous analyserons, dans notre communication, une série d'éléments du jardin domestique romain qui permettent de mettre en évidence ces jeux entre le réel et l'intangible qui en font un lieu perméable entre le divin, l'imaginaire et l'humain.

Tout d'abord, nous nous intéresserons au rôle central de l'eau dans l'espace du jardin. Pour Cicéron et Pline le Jeune rien n'est plus important que l'eau dans la conception de leurs jardins, à la fois pour se rafraîchir et pour créer un lieu agréable. Parmi les constructions hydrauliques, nous pouvons citer les nymphées et les édicules dominant des bassins savamment organisés qui situent le jardin dans un espace divin, mais aussi les grottes artificielles, imitation à la fois de la nature sauvage, mais aussi de l'imaginaire des jardins extraordinaires homérique. De plus, les peintures de jardins, qui représentent souvent des fontaines avec des oiseaux, sont visibles depuis le jardin lui-même, constituant ce continuum entre la réalité et la fiction d'une nature idéale, luxuriante et divine.

Dans un second temps, nous aborderons deux éléments destinés à protéger la demeure et ses habitants : le laraire et les oscilla. Le lien entre le laraire, le jardin et la famille découle de la division primitive de l'espace de la ville. Les Lares, divinités champêtres associées aux carrefours, et donc aux zones frontalières comme les jardins, ont fini par être les protecteurs de la famille et de sa subsistance contre les génies ou autres puissances divines. De même, la croyance qui les associe à la nature survit dans l'iconographie et dans l'emplacement de ces autels domestiques dans les atriums et, plus tard, dans les péristyles et les zones de jardin. Nous examinerons, ensuite, une autre manifestation de la perméabilité du jardin au divin avec les oscilla. Il existe plusieurs hypothèses sur leur fonction, notamment celle de protéger la maison en marquant une limite magique ou de l'assimiler à la nature et au rite dionysiaque, car ils sont souvent ornés de décors liés au monde bachique et aux divinités champêtres.

En conclusion, les espaces jardinés n'ont pas seulement une valeur esthétique mais représentent tout un monde habité par des divinités qui coexistent avec les êtres humains. En effet, tous les éléments susmentionnés font de l'espace du jardin, qu'il soit réel ou fictif, la projection organisée et contrôlée de la nature sauvage, démontrant l'hégémonie de l'homme sur celle-ci. En ce sens, on peut penser qu'il s'agit d'un lieu perméable où l'humain et le divin se côtoient, mais aussi l'espace d'expression le plus proche et le plus intime, car au cœur même de son logement, de la vision du monde du citoyen romain.


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